Portrait de Papus (Gérard Encausse), Souverain Grand-Maître de l’Ordre Martiniste de 1891 à 1916

par Yves-Fred Boisset

paru dans le n° 1 de 1961 et dans le n° 3 de 1976

Article rédigé le 13 octobre 1960 et paru dans le n° 1 de 1961 de la revue L’Initiation, puis reparu dans le n° 3 de 1976 avec une préface

Préface de 1976

Lorsque j'ai rédigé ce texte, je venais à peine de renaître ; j'entamais alors ma longue quête spirituelle que je considérais et considère toujours comme le but exclusif de toute Initiation.

Papus, par ses articles et ses ouvrages, me fournissait les premiers matériaux indispensables à la construction de l'édifice que j'entreprenais de bâtir au dedans de moi-même. Par lui, je découvrais, jour après jour, les grands courants de la pensée traditionnelle dont il fut à la fois l'héritier fidèle, le conservateur soigneux et le propagateur infatigable.

Dans l'enthousiasme sans partage qui s'emparait de moi, je jetais sur le papier quelques lignes rapides. Mes amis eurent la bonté de juger avec bienveillance cet article écrit « à chaud ».

Seize ans ont maintenant passé sur cet enthousiasme de mes débuts sans que celui-ci s'en trouve altéré de quelque manière que ce soit. Depuis, j'ai lu, étudié, médité. Martines de Pasqually, Louis-Claude de Saint-Martin, Eliphas Lévi, Saint-Yves d'Alveydre, Sédir, et bien d'autres encore, ont, peu à peu, meublé ma bibliothèque et ensemencé le terrain vierge de mon désir. Quand le docteur Philippe Encausse me demanda de republier cet article, j'éprouvai d'abord la tentation de le remanier, d'y apporter des éléments nouveaux, de le placer sous un nouvel éclairage. A la réflexion, je n'en fis rien de crainte qu'un remake n'en atténuât l'élan du premier jet et qu'il ne s'essoufflât sous le prétexte à peine justifiable que seize ans d'étude et de réflexion m'ont fait progresser dans la « voie ».

Puissé-je conserver jusque dans l'Au-delà cet enthousiasme, cet élan, cette impulsion, tirés du fond de moi même avec l'aide de Dieu et que rien à ce jour n'a encore érodé.

Voici donc ce texte écrit le 13 octobre 1960.

Y.-F. B.

Hommage à Papus

Il n'est pas dans notre intention de vous conter ici la biographie de Papus malgré son caractère si attachant, car nous pensons que ceci a dû être fait pour vous de très nombreuses fois et de façon plus intéressante et plus talentueuse qu'il ne nous serait permis de le faire.

De Papus, nous ne possédons, hélas, que trois ouvrages :

   • le Traité élémentaire de Science Occulte ;
   • le Tarot des Bohémiens ;
   • le Traité méthodique de Magie Pratique[1].

A ces trois ouvrages, nous nous devons d'ajouter le livre que le docteur Philippe Encausse a consacré à son père avec à la fois tant de respect, d'amour et d'objectivité[2].

Ce qui a retenu notre attention en priorité, ce qui nous a laissé la plus forte impression, ce qui nous a paru être le plus important, c'est que l'histoire de Papus est, avant tout, l'histoire d'une évolution.

Mais nous sommes seulement néophyte et notre rôle ici n'est pas de juger et de conclure, mais seulement d'observer et de constater des faits.

Présenter un travail sur Papus est une lourde responsabilité dont nous sommes pleinement conscient. Aussi, nous comptons sur nos aînés pour nous signaler les imperfections qui ne peuvent manquer de l'émailler.

Lorsque nous disons que l'histoire de Papus est l'histoire d'une évolution, nous savons bien que nous devons défendre et justifier cette affirmation, car il ne suffit pas de l'exprimer. La première partie de notre travail sera donc consacrée à cela.

Nous avons relevé dans le « Traité Elémentaire de Science Occulte », au chapitre concernant le Christianisme, que le cycle d'Initiation de notre race, à l'instar des autres races, comporte trois phases que Papus classe de la façon suivante :

   • La phase d'Initiation instinctive par les Voyants.
   • La phase d'Initiation cérébrale par les Prophètes et les Légistes.
   • La phase d'Initiation cardiaque par un envoyé de l'appartement du Verbe ou par le Verbe venu en chair.

Or quelques années d'étude de l'Occultisme nous ont permis, c'est déjà cela, de comprendre le maniement de l'Analogie.

Nous noterons donc que ce qui est vrai pour une race doit l'être également pour un peuple, pour une société et en descendant encore un échelon, pour un Individu. Ce n'est certainement pas Papus qui nous contredirait sur ce point.

Et c'est en s'appuyant sur les notes d'autobiographie intellectuelle que Papus a dédiée à Camille Flammarion que nous allons tenter de faire notre démonstration.

Dans ces notes autobiographiques, Papus nous conte en effet comment il passa du matérialisme au mysticisme.

Étudiant en médecine, Papus avait appris la loi de l'Évolution qui expose que les sels minéraux assimilés par la racine du végétal deviennent des cellules végétales et que ces végétaux assimilés et transformés par les sécrétions de l'animal deviennent à leur tour des cellules animales.

Or cela n'avait pas satisfait le docteur Encausse qui eut l'intuition que là où il y a Évolution, il doit forcément y avoir Involution, puisqu’un principe supérieur, en l'occurrence le sang, vient aider et permettre cette Évolution.

De même que le sang se sacrifie à l'évolution de l'animal, de même que le soleil se sacrifie à l'Évolution de la Vie, Jésus Christ s'est sacrifié à l'Evolution de l'Humanité. C'est la grande Loi de sacrifice et d'amour.

Mais cette Loi dont il avait eu l'intuition, tant la simple loi d'évolution lui paraissait incomplète, transforma, la vie de Papus. C'est à ce moment-là que ses études prirent une nouvelle orientation et qu'il découvrit dans les œuvres de Louis Lucas, dans les textes hermétiques et dans la Kabale hébraïque, que cette loi, bien que perdue maintenant pour la plupart des hommes de Science, était connue des Anciens. Ces Anciens auxquels il rend hommage et qu'il cherche à réhabiliter chaque fois que l'occasion lui en est donnée :

« L'Inde et l'Égypte sont encore jonchées de débris précieux qui révèlent aux archéologues l'existence de cette science antique », écrit-il dans « Le Tarot des Bohémiens ».

La plupart des questions qui nous viennent à l'esprit et qui sont souvent le point de départ de travaux, de recherches, d'études, naissent instinctivement si bien que nous avons le sentiment que cette question nous vient du dehors avec mission pour nous de la résoudre.

Car ce que nous sommes tentés d'appeler l'occasion, le hasard, qu'est-ce donc sinon un concours de circonstances préparées et agencées pour nous et seulement pour nous ?

Voilà donc la phase d'Initiation instinctive de Papus, car celui-ci nous précise bien qu'il ne faut pas rechercher dans sa jeunesse, dans ses études, une influence religieuse quelconque, celle-ci ayant été entièrement faite sous régime laïque :

« En 1882, je commençais mes études de médecine, nous dit-il, et je trouvais à l'École de Paris toutes les chaires importantes occupées par des Matérialistes enseignant les doctrines évolutionnistes. »

Cela nous a valu un Papus théoricien, démonstrateur, qui n'avance rien, qui n'affirme rien qui ne soit basé sur la Matière.

En effet, alors que nous reprochons à un chirurgien matérialiste, de nier l'existence de l'âme, sous prétexte qu'il ne la rencontre pas sous son scalpel, il serait aussi ridicule de nier l'existence de la matière sous prétexte que l'on s'occupe de métaphysique.

C'est pourtant le cas de certaines écoles qui préconisent à leurs adeptes le mépris de leur corps au risque d'ébranler leur santé, et ce qui a pour effet immédiat de donner d'excellentes armes aux matérialistes, ce en quoi nous ne pouvons les blâmer.

Dans « Le Traité de Magie Pratique », Papus nous dit que « la règle de certaines sectes spiritualistes conduit les adhérents aux turpitudes sensuelles ou à la folie sous prétexte de spiritualiser l'immonde organisme ».

Papus, qui était docteur en médecine, et qui, par conséquent, a travaillé dans le plan physique avant de travailler dans les autres plans, nous dit également : « Se souvenir que la purification physique par le régime est un enfantillage si elle n'est pas appuyée par la purification astrale, par la charité et le silence. »

Sachant aussi qu'un arbre ne peut s'élever en hauteur sans étendre ses ramifications sous la terre, il paraît logique (j'allais dire analogique), qu’aucun homme ne peut développer son âme, son esprit ou son intelligence sans développer son corps.

Dans la seconde partie de son évolution, nous trouvons la phase d'Initiation cérébrale. Parmi les nombreux initiateurs intellectuels de Papus, c'est un de ses contemporains qui retient plus particulièrement notre attention.

II s'agit d'Alexandre de Saint-Yves, marquis d'Alveydre.

Qui est Saint-Yves ?

« De ces deux hommes que j'ai pris pour exemple, nous dit Papus, l'un représente la maîtrise de l'Intellectualité, l'autre la maîtrise absolue de la Spiritualité. »

Saint-Yves est le premier de ces deux hommes. Nous parlerons plus tard du second, le Maître Philippe, de Lyon.

Le nom de Saint-Yves est indissociable des Missions et de la Synarchie. Que plus tard, des hommes aient repris à leur compte et dans des buts politiques le nom de Synarchie, cela ne nous regarde pas et ne peut en aucune façon porter la moindre atteinte à la mémoire de Saint-Yves qui a, par un prodigieux travail, remonté le cours de l'histoire de plusieurs millénaires pour élaborer à la lumière de l'Initiation, un programme d'Harmonie Sociale, hors duquel il n'apparaît point de salut pour la Société.

Papus a écrit que la Synarchie était la seule politique compatible avec l'Initiation.

Pourquoi cela ? Parce que Saint-Yves n'est pas un philosophe comme les autres, qui n'a pas cherché à établir une doctrine de remplacement, mais qui a puisé dans l'incomparable et si riche expérience de l'Humanité ce qui pouvait convenir le mieux à la nature humaine.

La Synarchie, telle qu'elle était comprise dans l'Empire de RAM lui apparaît comme seule pouvant convenir aux besoins évolutifs du genre humain.

Mais le marquis de Saint-Yves n'est pas seulement un chercheur consciencieux, un encyclopédiste infatigable, un philosophe érudit, il est beaucoup plus que tout cela. Ecoutons Papus nous déclarer dans le « Traité Élémentaire de Science Occulte » :

« Et nous sommes heureux de remettre ici, dans sa vraie lumière et à sa juste place, Saint-Yves d'Alveydre, ce Chevalier du Christ et des Patriarches qui, possédant toutes les Initiations, a su devenir le champion de la Communion à Dieu par la Vie et par l'Amour formant dans le ciel un seul principe : l'Amour Vivant.

Chaque citation que Papus fait de Saint-Yves d'Alveydre est empreinte d'un grand respect et d'une grande admiration.

Il y a chez Papus la recherche d'une synthèse des enseignements passés, mais si d'aucuns l'ont accusé de compilation, n'oublions jamais qu'il est plus difficile de se consacrer à des recherches objectives que d'imaginer tel ou tel roman, dans le seul but de plaire au lecteur.

Il ne suffit point d'avoir des dons pour obtenir la maîtrise dans quelque domaine que ce soit. Il ne suffit point de naître doté d'une oreille subtile pour devenir un grand musicien, encore faut-il consacrer de nombreuses années à l'étude d'un ou plusieurs instruments, en commençant par le solfège.

Il ne suffit point d'avoir la bosse des mathématiques pour devenir un grand mathématicien, mais il faut étudier consciencieusement les différentes branches des mathématiques, en commençant par les quatre opérations.

Mais pour faire un musicien, il faut être instinctivement attiré par la musique, pour devenir un mathématicien il faut être déjà attiré par les chiffres.

Entre l'attirance instinctive ou la vocation et la maîtrise se place toujours le stade de l'apprentissage auquel nul ne peut échapper, à l'exception de quelques rares prodiges, mais cela est une autre question.

Le cycle d'Initiation intellectuelle apparaît toujours le deuxième, comme la compréhension apparaît après l'émotion, comme le philosophe apparaît après le poète.

Mais la seule émotion nous rendrait émotifs et impulsifs. La seule connaissance nous rendrait orgueilleux. Un troisième facteur est indispensable. Il est l'aboutissement des deux premiers. Il en est aussi la synthèse et l'équilibre. Alors apparaît la phase d'Initiation cardiaque.

Après avoir acquis les connaissances très vastes que nous lui savons, Papus s'est élevé jusqu'à la spiritualité. Sa rencontre avec le Maître Philippe de Lyon n'y est certainement pas étrangère.

Si Saint-Yves d'Alveydre s'était adressé plus particulièrement aux intellectuels, le Maitre Philippe désirait plus conquérir le cœur des hommes, conformément au Message de celui qu'il appelait son Ami et qui, il y a deux mille ans, avait placé l'Amour, la Charité et l'Humilité au-dessus de toutes les Sciences, de toute la Science.

« Celui qui arriverait à aimer son prochain comme lui-même saurait tout », a déclaré le Maître Philippe.

Bien sûr. A quoi servirait-il que quelques hommes, particulièrement riches en dons, accumulent des connaissances si c'était à la seule fin de les ranger soigneusement dans les divers compar-timents de leur cerveau, tout comme Harpagon amassait de l'or pour le contempler.

Que faisons-nous avec l'argent ?

Nous le recevons d'un patron ou de clients selon que nous recevons un salaire ou des honoraires, et nous le redistribuons en plusieurs fractions pour conserver notre place dans la Société.

Un Savant est avant tout un instructeur.

Cette science qu'il a acquise, il doit la redistribuer en plusieurs fractions selon les gens auxquels il s'adresse.

Pour ses élèves, il sera un Professeur. Pour la foule, il sera un vulgarisateur.

Jésus n'employait certainement pas le même langage, suivant qu'il enseignait ses disciples ou qu'il s'adressait à la foule sur le bord des chemins.

Il est intéressant de noter que les ouvrages scientifiques vendus au grand public sont toujours abondamment illustrés, tant il est vrai que l'image atteint plus facilement l'homme ordinaire qu'un exposé.

Nous verrons tout à l'heure comment Papus a su exploiter cela.

Pour le Maître Philippe donc, l'Amour est la Science des Sciences, l'Amour est l'Unité.

Nous retrouvons cette idée chez Papus, dans le « Traité Élémentaire de Science Occulte », quand il nous dit :

« Aujourd'hui comme toujours, il est des hommes qui comprennent l'Unité des Sciences et l'Unité des Cultes. Idéalisant le Matérialisme et matérialisant l'Idéalisme, ils proclament l'Unité de la Science dans l'équilibre qui résulte de l'analogie des contraires. »

« La Science et la Foi ne sont que deux conceptions différentes de l'unique et éternelle Vérité et ils proclament l'Unité de la Religion et de la Philosophie dans une même synthèse dont ils énoncent ainsi la devise :

« Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas pour accomplir le miracle de l'Unité. »

En effet, aujourd'hui, la Science et la Religion sont séparées, chacune cherchant à acquérir la suprématie en effectifs.

Ridiculisant l'œuvre de Dieu dont ils ne sont pourtant que les anatomistes, les savants matérialistes cherchent à s'attirer le plus grand nombre de disciples en présentant notre siècle comme le grand siècle des découvertes et le seul dans ce domaine, et en flattant ainsi la vanité de nos contemporains qui pensent se tenir à l'apogée des civilisations. Ils rivalisent d'ingéniosité avec les religions conventionnelles, et même conventionnées dans certains pays, qui tentent d'attirer l'indifférent en faisant appel à son goût du miracle et à son engouement pour les cérémonies mystérieuses, et surtout qui préconisent une abnégation complète de la lutte dans ce monde.

Toute serait plus simple et plus harmonieux dans ce monde si les matérialistes cherchaient moins à constater des faits qu'à découvrir les mobiles de ces faits, et si les directeurs des religions acceptaient de collaborer aux travaux de leur époque.

Le Christ savait bien que l'on ne pouvait parler le même langage à tous les hommes. Aussi a-t-il formé non pas un successeur, mais douze successeurs ou Apôtres. Papus nous le rappelle qui nous aide à mieux comprendre l'éventail des différents cultes, qui ne justifient pas les œuvres fratricides dont l'histoire est remplie.

Dans le livre dédié à la mémoire de son père, le docteur Philippe Encausse écrit ceci :

« A l'aurore de notre civilisation, se dresse le Christ. Papus l'avait reconnu et l'aimait. »

Dans un chapitre sur le Christianisme, voici ce que nous dit Papus : « Si l'on considère avec le plus grand respect le courant de Lumière et de Science dérivé de la Cabale et de l'Hellénisme, il faut bien prendre garde de ne pas commettre une grande erreur en n'attachant pas une importance au moins égale au grand courant de l'Illuminisme religieux basé sur la pure culture des facultés divines de l'homme, en dehors de toute Science et de tout enseignement déductif. »

Ainsi donc, Papus qui avait connu, étudié, compris, digéré et propagé les enseignements des Anciens de la Cabale, Papus nous apparaît ici comme un pur mystique.

Papus devait déclarer, dans ses notes autobiographiques, qu'il n'est pas toujours juste de dire que la Foi est une grâce spéciale accordée à quelques natures, mais qu'elle peut s'acquérir par l'étude comme tout le reste, Papus se présente maintenant à nous comme un pur spiritualiste.

Il n'est pas de notre compétence de chercher à savoir ce qui a pu opérer cette évolution. Mais ce qui nous paraît intéressant de noter, c'est que Papus semble s'être à ce moment-là tourné vers un besoin de paix, de calme, ce qui est normal quand on sait combien sa jeunesse fut bien remplie.

Dans ses conseils au nouveau venu désirant étudier l’Occultisme Papus rappelle entre autres :

« Bien savoir que la Prière qui donne la Paix du Cœur est préférable à la Magie qui ne donne que l'orgueil. »

Car la prière, quand elle n'est pas commerciale, permet à l'homme de s'élever jusqu'à Dieu. Elle est un élan de tout l'être vers son Créateur. Elle est un pont entre l'humanité et Dieu, comme la parole est un pont entre les hommes.

Nous sentons d'ailleurs que lorsque Papus nous parle du Christ il ressent une émotion particulière.

« Alors en face des principes qu'on perçoit directement, nous dit-il dans le « Traité Élémentaire », en face des responsabilités effectives que crée le moindre pouvoir, on n'aspire plus qu'à une chose : devenir un pauvre et humble élève, descendre des hauteurs et respecter avec amour ce qui est respectable. »

Nous avons essayé dans cette première partie de distinguer l'évolution de Papus et de voir, grâce à ce que nous savons de lui, comment d'ardent évolutionniste il devint un fervent spiri-tualiste puisant ses forces à la Lumière des Anciens et à l'Illumination du Christ.

Nous devons maintenant, afin de mieux comprendre son rôle actif, parier de sa Mission.

C'est Paul Chacornac qui a écrit que « tous ceux qui voudront savoir demanderont à Papus de leur montrer le chemin, de leur indiquer les obstacles ».

Guider le débutant, le néophyte, l'apprenti, l'aider à contourner les obstacles - et Dieu sait s'ils sont nombreux - voilà quelle est la véritable Mission de Papus.

Dès le début du « Traité Élémentaire de Science Occulte », Papus nous met en garde contre une confusion extrêmement regrettable pour qui veut étudier sérieusement l'Occultisme. C'est de confondre analogie et similitude.

« L'emploi de l'analogie, nous dit-il, méthode caractéristique de l'Occultisme, et son application à nos sciences contemporaines ou à nos conceptions modernes de l'Art et de la Sociologie, permet de jeter un jour tout nouveau sur les problèmes les plus insolubles en apparence. »

Papus aime d'ailleurs manier l'analogie et y parvient avec beaucoup de bonheur, et pour son lecteur, il devient difficile de penser aux trois constituants de l'être humain sans voir apparaître devant ses yeux un cheval, un cocher, une voiture. Il ne lui est pas davantage possible de méditer sur le fameux ternaire : Liberté, Nécessité, Providence, sans avoir l'image de ce steamer lancé sur le vaste océan.

Le langage imagé qu'est celui de Papus aide beaucoup à la compréhension de ses ouvrages et permet au débutant de compren¬dre rapidement ce qui, avec d'autres auteurs, est souvent fastidieux.

On a souvent dit de Papus qu'il était le vulgarisateur de l'Occultisme. Cela est vrai, mais point satisfaisant. Car il est - et cela est beaucoup plus important - un Guide, un Initiateur : il montre le chemin aux débutants, en tenant bien compte des différents buts qu'ils poursuivent en s'engageant sur le Sentier.

A celui qui désire se rendre compte du Plan Invisible, Papus conseille de suivre la voie expérimentale, à condition d'avoir toujours le soutien de la Prière.

A celui qui désire acquérir des connaissances sur l'Humanité, et sur son histoire, sur les philosophies et les doctrines religieuses, il conseille de suivre la voie mentale, à condition de ne pas oublier la loi du sacrifice et de la charité.

A celui qui désire se perfectionner moralement, et être en mesure de mieux servir son prochain, il conseille la voie cardiaque ou mystique par l'élévation de ses actes et de ses pensées, par le développement spirituel, par la certitude que l'on ne peut jamais rien recevoir avant de donner.

Mais l'évolution est une synthèse - comme l'Occultisme. Papus le savait bien qui conseillait en définitive la voie unitive. Car, puisque nous sommes dotés de plusieurs centres d'action, nous devons chercher à tous les développer.

Il ne faut pas chercher non plus à avoir des pouvoirs. Seul le bon vouloir des forces supérieures peut nous en donner s'il nous en juge digne.

Tout enseignement doit être progressif, comme tout développement. Nous savons tous qu'il faut étudier très longtemps pour apprendre le chinois. Si quelqu'un venait et nous disait : je vais vous apprendre le chinois en six semaines, le croirions-nous ? Certes pas. Ce ne serait qu'un imposteur et nous l'enverrions se faire pendre ailleurs.

Il en est de même dans le domaine qui nous occupe.

On ne peut acquérir par la lecture d'un ou plusieurs volumes ce que seul un travail personnel et de tous les instants peut nous donner.

On trouve dans les librairies de nombreux ouvrages expliquant dans les moindres détails l'art et la manière de perpétrer un crime parfait. Est-ce que cela suffit à faire du lecteur un criminel accompli ? Certainement pas. Parce que sans vouloir faire l'apologie du crime, il faut bien reconnaître que l'accomplissement d'un crime parfait requiert de son auteur certaines qualités et une certaine dose de sang-froid.

Ici, il en est de même. La lecture des livres d'occultisme, de magie, ne suffit pas à faire d'un profane un Initié car il faut, pour cela, un travail personnel et un effort permanent dont les ouvrages (sérieux, bien entendu) ne nous montrent que le chemin.

Celui qui ne porte pas en lui le désir de réaliser, même si la curiosité le pousse vers nos travaux, celui-là sera vite lassé et déçu.

Papus nous a bien dit : « Se souvenir que les véritables Maîtres ne font pas de livres et placent la simplicité et l'humilité au-dessus de toute Science. »

Mais ce qui fait encore plus l'intérêt des travaux de Papus, c'est qu'il s'adresse à tous les publics, aux Initiés de tous les grades. D'abord par la multiplicité de sa production et ensuite parce que ses enseignements étant une synthèse de l'Occultisme, ils peuvent intéresser et servir l'étudiant à quelque degré qu'il en soit dans ses études.

Ainsi, quand, en tête du « Tarot des Bohémiens », il est écrit : « A l'usage des Initiés », c'est parce que cet ouvrage et ce qu'il renferme peuvent prêter à diverses interprétations selon le degré de nos connaissances antérieures.

Mais ses enseignements répondent aussi à une garantie qui me semble importante.

Papus était très attaché à la tradition occidentale et ses ouvrages sont faits pour des Occidentaux.

Témoin ces deux passages dans le « Traité Élémentaire »

« Les Brahmines Indiens savent très bien que l'Europe a eu son Messie il y a à peine vingt siècles, tandis que l'Asie a eu le sien il y a plus de quatre-vingt-sept siècles, et cependant cer-tains écrivains d'Occident voudraient appliquer à notre hémisphère les lois cycliques qui régissent l'Orient et viennent prétendre que nous sommes en période d'obscuration et d'Involution. C'est une erreur très grande dont les Occultistes d'Occident doivent se garder ; car elle aurait de très grands dangers pour l'intellectualité de notre race. »

Et plus loin :

« Nous sommes en évolution grâce au Christ, nous nous élevons vers la Lumière de l'Esprit à travers les meurtres, les guerres et les luttes, mais nous ne sommes pas soumis aux lois des jaunes, dont je respecte la sagesse et le musée intellectuel, mais dont je dénie toute influence sur notre race. »

En tête du « Traité Méthodique de Magie Pratique », nous recevons également un avertissement :

« Or, si vous voulez étudier la Magie, nous dit-il, commencez par bien comprendre que tout ce qui vous frappe autour de vous, toutes ces choses qui agissent sur vos sens physiques, le monde visible enfin, tout cela n'est intéressant que comme des traductions en un langage grossier des lois et des idées qui se dégageront de la sensation quand cette sensation aura été non seulement filtrée par les organes des sens, mais encore digérée par votre cerveau. »

Dans ce même « Traité de Magie Pratique », Papus nous montre la différence entre l'homme déterminé et l'homme libre, entre le travail mécanique et le travail intellectuel :

« A côté du métier qui met en mouvement la partie mécanique de notre être intellectuel, écrit-il, il faut donc que tout homme digne de ce nom ait une occupation choisie librement. On se repose du travail mécanique par le travail intellectuel et jamais on ne se repose en restant oisif. »

Dans notre Société de plus en plus administrative, et où nous tendons de plus en plus à ne devenir que des assistants de la machine, nous rencontrons de plus en plus de gens qui éprouvent le besoin de ce que l'on appelle familièrement un Violon d'Ingres.

Qu'il s'agisse de collectionner des timbres, des cailloux, de lire l'histoire de Napoléon ou d'apprendre le nom des îles du Pacifique, le but recherché est le même. Donner libre cours à sa fantaisie et à sa personnalité, ce qui s'avère de plus en plus difficile dans nos travaux alimentaires.

Papus nous le précise bien qui nous dit :

« Mais il faut bien savoir que le libre arbitre n'existe pour l'homme qu'autant qu'il prend l'habitude d'en faire usage. »

Enfin - et cela me servira de conclusion - en prônant l'Unité des Cultes et des Philosophies, en faisant la synthèse des enseignements passés, présents et à venir, Papus s'érige en médiateur et manie la truelle avec un doigté peu ordinaire.

Au risque de me répéter, je voudrais dire encore une fois que ce qui m'a donné le plus de confiance en Papus, lorsque je l'ai découvert, que ce qui m'a donné le plus de raisons de le suivre, que ce qui reste pour moi le plus attachant en lui, c'est que Papus ne cherche à imposer aucun dogme, il ne cherche à détourner personne de son Église, il ne cherche pas à convaincre les lecteurs autrement qu'en les mettant à même de méditer.

Il ne désire pas non plus l'inonder sous un verbiage intimidant et il ne fait étalage de son immense savoir que lorsqu'il peut servir au lecteur pour l'aider à mieux comprendre.

Pas plus que lui, nous ne devons jamais dédaigner l'aide de son Ami, de notre Ami, de notre grand Maître : JESUS-CHRIST. Comme l'Initiation nous a appris à mourir à la Vie profane pour renaître à la Lumière, de même nous ne devons pas nous laisser aveugler par notre modeste savoir, afin de mieux nous laisser éclairer par la Lumière du Christ, par la Science des Sciences.

Ecoutons Papus et ne l'oublions jamais quand il nous dit :

« Le véritable ésotérisme est la Science des adaptations cardiaques. Le sentiment est seul créateur dans tous les plans, l'idée est créatrice seulement dans le Plan Mental humain ; elle n'atteint que difficilement la Nature Supérieure. La Prière est le grand mystère et peut pour celui qui perçoit l'influence du Christ, Dieu venu en chair, permettre de recevoir les plus hautes influences en action dans le plan divin. »

Yves BOISSET

[1] A l'époque, je ne possédais en effet que ces trois ouvrages de PAPUS et je m'en désolais. Ce n'est que plus tard que j'en compris tout le caractère fondamental.
[2] Docteur Philippe Encausse. SCIENCES OCCULTES OU 25 ANNEES D'OCCULTISME OCCIDENTAL. PAPUS, sa vie, son œuvre. Ed. OCIA, 1949.

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    • 2 - Les Gnostiques d’Orléans (Le martyr Étienne)
    • 3 - La Gnose de Valentin
    • 4 - Première Homélie sur la Sainte Gnose (A l’Église du Paraclet)
    • 5 - Basilide
  • Hommage à Joséphin Péladan, troisième partie :
    • 1 - De l'insuffisance de la critique philosophique, par Paul Lacuria
    • 2 - L'esthétique Rose+Croix à Nancy-Artiste en 1886-1888, Joséphin Péladan, Stanislas de Guaita et F. Vurgey, par Alain Mercier
    • 3 - Joséphin Péladan et les symbolistes roumains, par Alain Mercier
    • 4 - Péladan, Verlaine et le mouvement esthétique hollandais, par Alain Mercier
    • 5 - Le retour de Samothrace par Joséphin Péladan
  • Poème de Anne Thiolat
  • Les livres

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En 2013, la Revue L'Initiation, fondée en 1888 par Papus, devient une revue en ligne téléchargeable gratuitement sous forme de fichier pdf et prend le nom de revue L'Initiation Traditionnelle tout en conservant la même ligne éditoriale.

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